CHAPITRE XIII

La voix d’Antonio ! C’était le petit jour, on n’y voyait pas encore bien clair. Surtout ici, en pleine forêt où la balise de réception initiale avait finalement été installée, devant une clairière.

— Michelli, sonde les environs ! réagit immédiatement Ael.

— C’est vous Antonio ? lança-t-il.

— Ael ?

— Oui. Que se passe-t-il ?

— Un couple d’immenses fauves nous assaille depuis hier matin. On est tous barricadés. Nos armes étaient cachées au sommet de la colline, derrière le village. La protection est en voyage. On les a prévenus par cristaux mais ils sont encore loin.

— Ael, les saloperies sont dans le coin. Elles nous ont aperçus. Je les localise.

— Antonio, êtes vous seul ?

— Gregg est avec moi. Nous sommes cachés dans un arbre. Nous pensons que ces fauves sont trop grands pour y grimper. Nous n’avons pas pu passer chercher des armes et la protection emporte toujours deux des trois RCM.

— Restez en place, ne bougez pas, nous nous chargeons d’eux.

— Ael, Djema a fait une diversion, cette nuit, pour nous permettre de sortir vous accueillir… Elle y a laissé sa vie… Elle s’était fabriquée une lance !

Ael enregistra l’information se réservant d’y réfléchir plus tard.

— Bien. Antonio, restez sur place quoi que vous entendiez, ne vous inquiétez pas ; nous allons régler ça rapidement.

— Michelli, je vais récupérer la lance par télé-translation. Toi, tu balances une décharge d’énergie au premier fauve qui pointera son nez. Quand j’aurai la lance on les attirera. O.K. ?

— Reçu, Cap.

Le Sarmaj réapparaissait.

Ael se concentra et “vit” les fauves. Ils étaient à une quarantaine de mètres, derrière des buissons. L’un portait une blessure au flanc et battait de la queue avec fureur. Mais pas de lance en vue. Il avait dû s’en débarrasser.

— Antonio, cria-t-il, à quel endroit Djema se trouvait-elle quand elle a attaqué ?

— À la sortie ouest du village.

Ael se concentra et disparut, se retrouvant à la sortie d’une série de préfabriqués et de cabanes. Des yeux, il fouilla le paysage et finit par apercevoir la lance. Il courut s’en saisir et se concentra de nouveau, réapparaissant à côté de Michelli, derrière le Transmetteur.

— Sarmaj, on avance tous les deux, en silence. Ils vont attaquer. Je lance mon arme en téléportation sur celui qui se trouvera à droite. Tu écrases le crâne de l’autre. Ça ira ?

— Pas de problème, je vais en faire de la bouillie.

Ils se glissèrent au sol et commencèrent à progresser. Ils n’avaient pas fait cinq mètres que des rugissements curieusement graves se faisaient entendre. Des ombres longues de huit bons mètres et hautes de deux jaillirent, fonçant vers eux.

Ael se concentra rapidement et propulsa, mentalement, la lance, avec violence, visant la gueule ouverte de l’animal de droite.

L’arme disparut de sa main pour venir pénétrer son objectif, disparaissant quasi totalement dans l’animal !

L’autre boula au sol et ne bougea plus. Seul celui qui avait reçu la lance se débattait furieusement, couché sur le flanc, ne faisant qu’aggraver les dégâts de la pointe dans ses entrailles. Assez vite, il ne bougea plus. Ael retira la lance, à distance, et la fit s’enfoncer derrière le crâne, visant l’endroit approximatif du cervelet. Un sursaut et, cette fois la tête du fauve tomba au sol. Il était mort.

— Michelli, fais-moi penser à récupérer des armes quelque part. Il faudra qu’on soit armé, à l’avenir.

— Vous pouvez venir Antonio, c’est fini, lança-t-il.

Les deux Colonels se laissèrent glisser le long d’un tronc, venant à eux, abasourdis.

— Mais… comment avez-vous fait. Ael ? demanda enfin Gregg, ahuri.

— Je vous l’expliquerai ; pour l’instant soyez très discrets sur ce que vous avez vu, je vous en prie. C’est très important.

— Ça, nous nous en doutons, dit Antonio. Jamais rien vu de pareil. On aurait dit que l’un d’eux était assommé…

— C’est un peu ça, répondit Ael. Bien. Puisque nous sommes seuls, nous allons installer le Transmetteur ailleurs, et déplacer la balise, évidemment.

Il regarda autour d’eux. Phi et Katel avaient choisi un endroit plat, entouré d’arbres, sous une petite falaise d’une quinzaine de mètres. Ses yeux s’y dirigèrent tout de suite. Voilà, c’était là-haut qu’il fallait installer l’engin, braqué vers le bas. De cette manière, la focalisation serait facile, quelle que soit l’envergure de la masse à Transmettre.

— Michelli, tu penses qu’à nous deux on peut envoyer le Transmetteur là-haut ?

— Aucune idée. Jamais essayé avec des trucs aussi lourds.

— On va grimper au sommet. Il faut trouver un endroit d’où l’angle de plongée aboutisse au centre de la surface de réception où nous sommes.

— Messieurs, cria-t-il, vous allez voir une chose qui va vous paraître extraordinaire. Je vous expliquerai tout ensuite, gardez votre sang froid, je vous en prie.

Gregg eut un rire bref.

— Nous ne sommes pas idiots, Ael, il y a longtemps que nous pensons que vous êtes… disons des cas à part. Pourtant, vous êtes des nôtres, c’est certain. Alors nous attendons paisiblement que vous nous disiez ce que nous sommes susceptibles d’entendre.

Ils lui avaient montré une sacrée confiance ! Ael fut certain qu’il fallait les joindre totalement à leur groupe.

— Exact. Après ce qui va se passer, il se peut que nous soyons épuisés, Michelli et moi, nous ne savons pas très bien. Si nous perdions conscience, sachez que nous aurons seulement besoin de manger pour refaire des forces, et de repos. Maintenant, nous allons monter sur cette petite falaise pour trouver un endroit parfait. Voulez-vous nous attendre ici ?

— Allez-y, Ael.

Ils grimpèrent sans difficultés et se mirent à chercher un moment. Le sommet était de roc solide mais, confusément, Ael sentait qu’il valait mieux protéger le Transmetteur.

C’est Michelli qui trouva. Il fouinait à mi-pente, quand il lança.

— Cap. Il y a une grotte, ici. J’y entre pour voir la longueur.

Il rappela peu après.

— Pas très large mais suffisant. Il s’agit de glisser le truc en douceur. Mais ça devrait être impeccable, mieux qu’au sommet ; viens me rejoindre.

Effectivement, il fallait en repérer l’entrée. Mais l’excavation était largement assez profonde.

— Bon, le plus délicat, maintenant, émit Ael. Il faut amener le bouzin jusque-là, et lui donner l’angle voulu pour qu’il vise la surface, en bas. Il faudra probablement soulever l’arrière avec des rochers. On reste ici et on se concentre, tous les deux, pour faire l’effort mental ensemble.

— D’accord. Tu donnes le signal.

— Attention, hein, il ne doit pas tomber. Donc, on fait d’abord un essai pour voir si on le soulève à nous deux, et si ça marche, on fait vite pour l’amener ici. Je reculerai au fond du trou pour lui donner son orientation. Je ressortirai en téléportation.

— J’attends ton signal.

Ael leur laissa le temps de porter leur concentration mentale au maximum, les yeux fixés sur le Transmetteur, en bas, et fit un signe.

Il lui sembla qu’un poids phénoménal pesait soudain sur son cerveau et il se mit à trembler comme s’il faisait un effort physique. Mais là-bas, le Transmetteur flottait à cinq mètres du sol !

Il lui donna l’ordre de monter en arrière et en biais vers l’entrée du trou et la machine dériva très vite dans leur direction. Il recula, dans la faille, en se baissant, s’efforçant de ne pas tomber pour éviter de se déconcentrer.

Le Transmetteur se trouvait exactement devant l’entrée bouchant la lumière ! Ael se sentait de plus en plus épuisé et, rapidement, guida son passage. L’appareil s’y enfonça, flottant au milieu, frôlant les parois.

Une fois la machine entrée, Ael commença à baisser l’avant jusqu’à reposer sur le sol. La tension diminua fortement, en lui. Il recula pour tenter de viser, le long de la paroi métallique. Il fallait la soulever davantage de l’arrière et la déporter vers la droite.

— Tu peux glisser des blocs, je le tiens, haleta Michelli.

Ael regarda autour de lui et avisa d’énormes morceaux de roc. Il les fit glisser jusqu’à l’arrière du Transmetteur en le faisant pivoter légèrement. Puis, il reprit la charge, avec Michelli, et laissa doucement descendre la machine qui se cala sur ce nouveau socle arrière.

Il pointait vers la partie plate, en dessous. Et la trappe donnant accès aux contacts de réglages de focalisation et des coordonnées de balise, pour une Transmission, était accessible, de l’extérieur. La balise ne pesait pas lourd et fut placée à l’entrée, près du champ du Transmetteur.

Sans attendre davantage, il se téléporta en bas, près des Colonels qui n’avaient pas bougé mais paraissaient statufiés.

Michelli apparut d’un seul coup, à côté de lui, très pâle, soufflant comme un bœuf.

— Ça va ? demanda Gregg.

Ael fit oui, de la tête, la tournant vers le Sarmaj. Il se rendait compte que c’était lui qui avait fait les trois quarts du boulot. Quelle puissance il pouvait développer, Ael en était soufflé ! Il lui posa la main sur l’épaule en secouant doucement la tête.

— Il nous reste juste assez de forces pour aller chez vous, murmura-t-il, vous nous ferez à manger, si vous le voulez bien.

Gregg prit le bras de Michelli et l’aida à se mettre debout, pendant qu’Antonio faisait de même avec Ael. Le retour, lui parut long. Et il s’effondra sur une couchette dans un abri.

Il n’eut pas conscience de ce qui se passait jusqu’à ce qu’une cuillère contenant des aliments chauds vienne frotter ses lèvres. Il se laissa nourrir comme un enfant. Mais, après un long moment, il ouvrit des yeux redevenus lucides.

Les deux Colonels étaient là, debout, les regardant. Michelli et lui.

— Longtemps que nous sommes ici ? demanda-t-il d’une voix plus ferme qu’il ne l’aurait pensé.

— Une heure.

Seulement ? Ils avaient récupéré si vite ? Michelli avait l’air beaucoup mieux, lui aussi. Leur contrôle mental avait progressé de façon considérable, ces derniers mois…

— Ça va aller, maintenant, dit-il. Est-ce que vous auriez un peu d’alcool pour nous donner un coup de fouet ?

Un gobelet en main, il reprit.

— Bon, vous avez été assez patients. Asseyez-vous, Messieurs. Je dois vous poser une question, à tous les deux. Accepteriez-vous de participer, de manière très active, à nous aider à faire naître cette planète, cette Fédération ?

— Pour moi, bien sûr, fit Antonio. Pour être franc, si je suis infiniment heureux de la paix qui règne ici, je m’ennuie un peu, maintenant. Jamais satisfait, probablement.

Gregg, sourit.

— La même chose pour moi, dit-il. De quoi s’agit-il ?

— Il y a un énorme travail d’organisation à réaliser dans le Monde. Mais vous êtes désormais citoyens d’une nouvelle Fédération, vous n’avez rien à craindre de l’Union, même si vous deviez vous y rendre. Par ailleurs, votre expérience du monde civil, des sociétés, des Compagnies, est inestimable, pour nous.

— Cela veut dire partir d’ici, donc ?

— Provisoirement. Et vous avez vu que l’on y revient très vite. Nous arrivons du Temps Relatif. Nous étions en route vers M 64 où sont rassemblés une grande quantité d’Anciens que nous allons transférer ici de la même manière. Cela ne prend que quelques secondes… Votre réponse est toujours oui, Messieurs ?

Lentement, avec une certaine gravité, ils inclinèrent la tête.

— Bien, fit Ael, alors asseyez-vous, je vais vous raconter une histoire fantastique.

Il entreprit de faire le récit minutieux de leur parcours, depuis le contrat de legs, à la 388ème B.A.

Quand il en eut terminé, il y eut un très long silence.

— C’est vrai que si je ne vous avais pas vu tuer ces fauves, ce matin, et hisser cette machine, j’aurais de la peine à vous croire, finit par lâcher Antonio. Mais tout ceci est incontestable, c’est évident.

— Et vous envisagez de nous faire séjourner sur Amas I ? demanda Gregg.

— Si vous en êtes d’accord, oui. Mais pas immédiatement. Nous n’en avons pas le temps. En outre, il faudra y installer un Transmetteur. Par facilité et discrétion. Pour l’instant j’ai… nous avons besoin de vous dans le Monde, d’urgence. Il faut organiser les achats de matériels, aux surplus de Procyon, d’abord, négocier la création des nouvelles Compagnies d’enseignement rapide dans plusieurs Fédérations, ou bien créer nous-mêmes des sociétés – je vous expliquerai pourquoi – éventuellement être capable de négocier les accords avec les Groupes qui s’associeront avec nous, imaginer un réseau de sociétés commerciales qui nous appartiendront, si vous pensez que c’est la meilleure méthode, avec les sécurités nécessaires pour qu’il n’y ait aucune fuite. Dès que vous aurez un contrôle des dons que l’on obtient, sur Amas I, vous pourrez imprégner et verrouiller des instructions. En attendant, ce sera une organisation fragmentée qu’il faudra mettre en place, en attendant que l’un de nous se déplace. Un travail divers et urgent. En réalité tout est devenu urgent ! Au stade où nous en sommes, ce sont les bases de la Fédération et de sa civilisation qu’il faut établir et nous ne devons pas nous tromper, comprenez-vous ?

— Un très gros travail, effectivement, approuva Gregg, mais qui me tente beaucoup, je l’avoue.

— Replonger dans les plans, imaginer des solutions, oui, ça me ravit à l’avance, confirma Antonio. J’en suis.

— O.K., alors nous repartirons ensemble, par le Transmetteur. Cette expérience montre que nous devrons commander de nouvelles pièces et installer des Transmetteurs en plusieurs endroits du Monde, y compris dans certaines de nos Sociétés, peut-être ? Mais il faut prévoir aussi quelqu’un, ici, qui sache se servir, au besoin, du Transmetteur local pour programmer une destination, chaque appareil porte un code. La réception, elle, est automatique, si ce n’est qu’il faut dégager rapidement l’aire de réception sinon tout s’entasse au même endroit, au fil des arrivées. Connaissez-vous quelqu’un de confiance ?

— Oui. Deux ou trois d’entre nous ont révélé de belles qualités morales, et vous pourrez les sonder.

— Parfait. Une dernière chose, fit Ael. Djema s’est sacrifiée pour vous permettre de vous glisser à l’extérieur, si j’ai bien compris ?

— Oui, c’est exactement cela, confirma Antonio.

— Elle a choisi sa fin, murmura, Ael. Elle ne devait pas pouvoir accepter les limitations à son ambition, que j’ai installées en elle, et elle a préféré en finir.

— C’est vraisemblable, Ael. Mais vous n’avez pas à vous en vouloir. Elle était, je crois, dangereuse pour nous tous.

— Oui, mais elle a aussi donné sa vie pour nous. Je crois que je suggérerai de donner son nom à cette première ville : Djema. Qu’en dites-vous ?

— Les hommes savent que vous étiez en conflit avec elle. Si vous donnez son nom à la… ville, ils apprécieront le geste, j’en suis sûr, remarqua Gregg. Psychologiquement, c’est très habile, ça a de la gueule !

— Bien. Autre chose : pourquoi toute la sécurité était-elle loin ?

— Deux d’entre nous sont partis en exploration le long de la côte et ils ont appelé au secours. Ils étaient attaqués. Le Sarge a emmené ses deux hommes.

Ael hocha la tête tandis que Michelli lâchait :

— Je lui dirai quand même deux mots, au petit Sarge ; il a encore des choses à apprendre sur les liaisons.

Ael approuva de la tête. Le Sarmaj saurait trouver les mots, en effet. Il avait raison, c’était à lui de le faire.

— Je ne sais pas combien d’Anciens nous allons vous envoyer, prochainement, reprit-il. Probablement un bon nombre, avec des logements préfabriqués. Il faudra les installer. Mais pas ici ; ce village ne doit pas devenir l’unique centre. Il est temps d’essaimer la planète – en tout cas, ce continent – en tenant compte des moyens de liaisons, inexistants en ce moment. En revanche, pour l’instant, je suggérerais de rester au bord des mers, ou de grands fleuves. Donc, il va falloir s’occuper en priorité, également, des moyens de transports. Acheter des centaines de Plateaux, et les amener ici.

— Combien de temps comptez-vous rester ? demanda Gregg.

— Nous partirons bientôt. Le temps de sonder les types que vous nous recommanderez et de prévenir tout le monde qu’ils vont recevoir des Anciens, traumatisés, et qu’ils devront les aider à se refaire une santé morale.

— On a oublié le matériel, les machines pour faire des bracelets remarqua soudain Michelli.

— Effectivement, tu as raison Sarmaj. Il nous en faudrait même une ou deux autres. Il faudra en demander à Véga XX. Encore un travail pour vous, Messieurs. Nos camarades qui vont arriver doivent voir, chaque jour en regardant leur poignet, que tout a changé, qu’ils sont définitivement en sécurité. Et, à propos de sécurité, il va falloir augmenter le nombre des groupes. Avant leur transfert, nous en choisirons quelques-uns pour qu’ils puissent assurer leur travail, dès leur arrivée. Dieu, comment ne rien oublier !

— Ael, nous allons vous aider, dit Antonio. Nous aurons besoin d’aide, nous aussi, mais nous connaissons bien notre travail, Gregg et moi, nous saurons vous indiquer quel genre d’hommes et de femmes il nous faut et vous les imprégnerez. Vous verrez, ça va aller. Et plus vite que vous ne le pensez, si nous avons effectivement des moyens financiers. Peut-être devriez-vous reprendre contact avec… Grosse Tête, pour lui demander si Ping ne peut pas recommencer l’opération compte financier avec les auras de Procyon ? En leur expliquant ce que vous avez réalisé. Il ne faut négliger aucun moyen de ramasser des Ters.

Ces deux types voyaient clair. Ils avaient bien assimilé les révélations et montraient, maintenant, ce dont ils étaient capables.

Michelli prit la parole :

— Ael, dans combien de temps la Barge doit-elle arriver sur M 64 ?

— Trois semaines.

— Tu as dit à Katel que les autres équipages pouvaient l’aider, non ?

— Oui.

— Alors la Barge peut freiner et se mettre en attente pour deux ou trois jours, ou même se poser sur un petit astéroïde ?

— Dis ton idée, Sarmaj.

— Si les Colonels sont d’accord, on peut envoyer un message à Phi pour lui dire de préparer deux autres Transmetteurs. Ils sortent du Relatif, se posent sur un petit astéroïde, installent un appareil et nous Transmettent notre Barge complète, ici, avec un pilote de Procyon des autres équipages, par sécurité, si tu veux. D’ici, on décolle pour Amas I, avec notre Barge, installer une balise et un autre Transmetteur avec une protection qui restera sur place. On réexpédie la Barge, Katel, Phi et le pilote sur l’astéroïde, par le Transmetteur d’Amas I, et ils replongent tous en Relatif pour M64. Pendant ce temps, les Colonels sont bombardés, et trois semaines plus tard on se fait Transmettre tous les quatre, depuis Amas I, vers la Barge, où qu’elle soit. La suite du programme ne change pas, mais Gregg et Antonio seront opérationnels, au moins en partie. Pour les entraîner, on utilise le temps du voyage en Relatif que les copains sont obligés de se farcir. Comme ça, les Colonels choisiront eux-mêmes leurs adjoints et nous aideront à sonder les gars, s’il y en a beaucoup à M 64. Ce sera bon pour eux, avant de commencer leur travail de négociations.

Il jonglait avec les passages en Temps Relatif et les Transmissions ! Ael était ahuri de la facilité avec laquelle Michelli avait assimilé tout cela.

— Mon petit Sarmaj, tu raisonnes à la perfection. Katel est capable de poser la Barge sur un astéroïde, en effet, surtout guidé par l’un des autres équipages. Êtes-vous d’accord pour subir le bombardement, Messieurs ?

— Vous pensez que notre âge ne nous handicapera pas ? demanda Antonio.

— Vous n’avez même pas 40 ans ! Et je ne pense pas qu’il y ait un âge limite pour activer des neurones qui n’ont jamais été utilisés de cette façon… Mais c’est à vous de choisir.

— Ça me va, répondit immédiatement Gregg. Pouvoir sonder un interlocuteur pendant une négociation c’est un atout fabuleux. Je devrais pouvoir vérifier ce que pensent mes interlocuteurs avant de signer des contrats à des conditions vraiment intéressantes ! Ce n’est peut-être pas très élégant, mais on disait bien, dans la vraie préhistoire des hommes, sur Terre, que le dieu des voleurs et le dieu des marchands était le même !

— Dans ce cas, j’en suis aussi, fit Antonio. Par ailleurs il est vrai qu’en se retrouvant seul dans le Monde, au début, il sera rassurant de pouvoir déceler un danger.

— En outre, ajouta Ael, vous aurez chacun un petit quartz-Porte pour nous laisser un message, de n’importe où, par l’intermédiaire de Grosse Tête que l’on contacte fréquemment, il adore ça. Il a ainsi l’impression d’agir encore, dans notre monde… Bien, auriez-vous une feuille de plasto, je vais envoyer des instructions à Katel par le Transmetteur, ce sera l’occasion de le tester.

Il détailla leur plan, par écrit, racontant comment ils avaient caché le Transmetteur d’Amas I dans une petite grotte et que sa focalisation était suffisante pour envoyer un engin grand comme une Barge, au besoin. Puis, il alla déposer la feuille au milieu de l’aire de réception et grimpa jusqu’au Transmetteur où il enregistra le code de la balise de leur Barge. In extremis, il ajouta un mot pour Katel, lui demandant d’envoyer, par holo, depuis l’astéroïde, un message à l’OFG pour demander deux machines à enregistrer les bracelets et quelques milliers de ceux-ci, il était important que les Anciens aient, le plus vite possible, la preuve de leur nouvelle nationalité et se sentent en sécurité. Antonio ou Gregg en prendraient livraison au nom de leur Fédération. Il fallait aussi leur trouver un titre quelconque pour qu’ils puissent travailler facilement. Ambassadeurs, peut-être ?

Après quoi, il revint dormir un peu, chez les Colonels. Michelli était sorti parler aux Anciens du village et leur annoncer une prochaine arrivée, probablement importante, de copains d’Altaïr et de Procyon, et de matériels, et leur disant qu’ils devraient choisir un autre lieu pour le second village d’Amas II. Pas très loin, de préférence, pour le transport de matériel.

L’après-midi, Ael, en forme à nouveau, sonda plusieurs cerveaux pour vérifier les barrières. Il découvrit que les gars, rescapés d’Altaïr, redécouvraient la joie de vivre sans crainte et tiraient un trait sur leur passé. Ils réagissaient bien et Ael y trouva un vrai réconfort. Tous semblaient fascinés par la possibilité de créer une nouvelle Fédération et regrettaient de ne pas vivre assez longtemps pour la voir s’épanouir…

Ils semblaient avoir accepté le fait qu’Ael disposa d’un procédé pour amener les Anciens et ne se posaient pas vraiment de questions !

La réponse de Katel arriva par l’intermédiaire des grands cristaux de Gregg et Antonio. Elle était un peu inquiète des manœuvres à accomplir pour émerger et se poser sur un astéroïde. Ael lui fit enregistrer un quartz d’instructions de pilotage pour cela. Puis, il appela l’un des autres équipages et expliqua les dernières décisions.

Séville, l’un des plus expérimentés pilotes de Procyon lui dit qu’il s’occuperait personnellement d’elle, dès la sortie en espace et la guiderait.

Ces types de Procyon n’avaient pas eu plus de chance que Phi, dans leur Materna. À l’époque où ils étaient nés, les directeurs des établissements avaient lancé la mode de vieux noms de villes ou même de villages, de la vieille Terre. On trouvait des Ametlla, des Salamanque, des Brestlow, des Magné, des Dantzig… Ça ne prêtait pas à rire, comme Philéon mais il fallait les porter !

Quand la Protection rentra, avec un blessé, Michelli fit son numéro au Sarge qui se retrouva instinctivement au garde-à-vous. Ael ne s’en mêla pas. Le Sarmaj savait ce qu’il fallait faire comprendre au jeune gars qui, par ailleurs, était apprécié de tout le monde.

Le message d’arrivée de la Barge fut reçu deux jours plus tard. Ils étaient sortis du Temps Relatif et avaient trouvé un astéroïde. Katel s’en était sorti, avec une trouille intense, en manœuvrant en apesanteur, mais sans casse. Ils Transmettraient la Barge la nuit suivante.

Son arrivée, brutale, sur l’aire de réception, provoqua un violent déplacement d’air, sans rien de plus. Les quatre hommes grimpèrent à bord immédiatement, accueillit par Katel, Phi et un grand type de Procyon, ancien pilote de combat, Dantzig, dont Ael se souvenait très bien. Un type sans nerfs tant il était calme. Ils décollèrent immédiatement vers Amas I – mais sans Dantzig – où ils se posèrent la nuit suivante.

Phi et Katel n’attendirent pas et commencèrent à monter le Transmetteur et la balise, à mi-pente d’une hauteur, à 200 mètres de la rive sud de l’océan, pendant que les autres montaient et dissimulaient un grand bloc préfabriqué avec des vivres.

Au jour, tout était terminé et l’équipage monta à bord, Katel s’attardant un instant avant de fermer la porte. Puis Ael mit en route le Transmetteur et leur Barge disparut !

Les Colonels portaient un petit casque, de même que Michelli, par prudence. La première chose qu’ils firent, ensuite, fut d’aller se baigner… On ne les avait pas prévenus de la manière dont il fallait user pour faire apparaître les dons…

 

Michelli cavalait comme un forcené vers l’aire de réception, pas loin de l’abri, et plongea aux pieds d’Ael qui se tenait à côté des deux Colonels. C’est le Sarmaj qui avait déclenché le système retard du Transmetteur, avant de les rejoindre.

— Qu’est-ce qui t’arrive ? demanda Ael, amusé.

— Pas envie de me retrouver seul ici, tiens.

— Tu aurais refait l’opération. Il y a le temps de venir se placer ici, tu sais. Le retard fait 30 secondes.

Le Sarmaj ne répondit pas.

Et puis tout disparut…

… et ils se retrouvèrent dans la soute de la Barge, vide et silencieuse, posée près du camp d’Anciens rassemblés par la Milice sur M64. Les Props étaient coupés, donc elle était au sol.

— On ne peut pas dire que le comité d’accueil soit très empressé, fit Ael d’une voix vague.

— Eh, vous n’êtes pas réveillés, cria Michelli.

Pas de réponse. Ael se dirigea vers le poste de pilotage. Tout était éteint. Il mit sous tension l’écran de visibilité extérieure, au moment où Michelli arrivait.

Devant eux, ils découvrirent un véritable camp qui s’étalait dans une vallée, sous la Barge. Mille abris, au moins, installés par rangées ! Et un tas d’autres, encore démontés. Ael grossit l’image et lui fit parcourir l’étendue.

Il stoppa d’un seul coup. Deux grands véhicules anti-G de la Milice étaient là et une dizaine de Miliciens tenaient en joue, au bout de deux Projecteurs Thermiques Lourds, une foule de 900 ou 1000 types, immobiles, abattus, la tête basse.

Ael mit le son.

— … me doutais bien que l’Armée nous jouait un tour de cochon. Je n’ai jamais cru à son ralliement, hurlait un grand type mince en uniforme de sous-officier de la Milice. Au lieu de rester sur ses planètes glacées, elle commence à rapatrier les Anciens, hein ? Il en reste encore tellement ? Mais comment vous avez fait pour nous échapper ! Heureusement, qu’on se méfie, ici. On va arranger ça très vite, salopards, vous allez griller, ça vous rappellera peut-être des souvenirs !

— Michelli, on se téléporte derrière les véhicules et on attaque les servants des Thermiques lourds, lâcha très vite Ael. Tire au besoin, mais le moins possible, il nous les faut vivants.

Gregg et Antonio arrivaient.

— La Milice va les massacrer, lança Ael, on y va. Restez ici. Prévenez-nous si vous voyez quelque chose. Allez aux nouvelles dans les autres Barges. Sarmaj, je prends le véhicule de droite.

Les deux hommes regardèrent fixement la scène et disparurent du poste, laissant les Colonels qui s’assirent immédiatement pour la surveiller.

Ael se retrouva, accroupi derrière l’engin qu’il avait visualisé. Michelli était un peu plus loin, aplati contre l’autre. Ils se regardèrent.

— “On y va ensemble,” ordonna mentalement Ael.

Il avait reculé légèrement et ses mains le hissèrent jusqu’au rebord supérieur de l’engin. Deux types de la Sécurité faisaient pivoter lentement l’extrémité de leur Projecteur Thermique pour balayer la foule. Il attaqua tout de suite, faisant un bond en avant et sabrant la première nuque. Puis, il se tourna vers l’autre type, ahuri, et cogna durement au front, de la main à plat. Les yeux du gars se révulsèrent et il partit en arrière. Évanoui.

Déjà Ael prenait place derrière l’arme et la faisait pivoter vers le sous-officier, au sol, avant de presser la mise à feu de l’arme, en visant près des pieds du gars.

— “Je suis en position,” fit, en lui, la voix de Michelli. “Je m’occupe de ce qu’il y a à ma droite.”

En bas le sous-officier avait fait un bond sur le côté. Le sol noirci fumait encore et le gars se retourna, furieux. Ael dirigea l’arme vers sa poitrine.

— Ordonne à tes hommes de poser leurs armes au sol, lança-t-il sèchement. Toi, tu ne le sais pas, mais les Anciens, si. Ces Thermiques font un mal de chien quand ils vous grillent une jambe…

L’autre avait les yeux exorbités.

— Encore deux secondes et je te grille les deux jambes, gronda Ael tout en surveillant, de sa vision latérale, les Miliciens de gauche.

Il sentit que l’un d’eux allait bouger et tourna brutalement le canon du Projecteur, lâchant un rayonnement au-dessus des têtes en guise d’avertissement. Ils s’aplatirent.

Puis, il revint vers le sous-officier et braqua l’arme lourde sur sa poitrine.

— Non… non, arrêtez ! hurla le type. Les armes au sol… tout le monde pose son arme au sol.

— Eh vous, les Anciens, gueula Ael, je veux les garder vivants, compris ? C’est un ordre ! Le premier rang, venez prendre les armes et les recharges. Et fouillez-les, ils en ont peut-être d’autres et on en a besoin.

— Eh, Capitaine, lança Michelli, il y en a deux qui se taillent, derrière.

— Arrête-les, sinon grille-les !

Il y eut le grésillement d’une rafale.

— Ils ont compris, Capitaine, ils reviennent.

— Surveille-les, Sarmaj, ils sont armés.

Puis il revint au sous-officier, parlant de sa voix de commandement pour être entendu de tous :

— Regroupe tes hommes sur la droite, devant, sur deux rangs, que je puisse vous griller d’une seule rafale, au besoin ! Tu sais, nous autres, les Anciens, on a une certaine habitude de ces armes. Griller des mecs ça nous fait ni chaud ni froid, au combat. Après, c’est plus la même chose, on se sent plus proche des anciens ennemis, qui en ont bavé autant que nous, plutôt que d’ordures dans ton genre.

La foule commença à sortir de sa torpeur et il revint au premier rang, qui n’avait pas bougé :

— Alors, ça vient ? Je vous ai dis de récupérer les armes. Vous pensez qu’on ne sait pas ce qu’on fait, chez les B.A. ? Si vous êtes tous ici, c’est parce que j’ai monté une combine pour vous évacuer. On va tous quitter cette Union de merde pour un monde où d’autres Anciens vous attendent. Ce ne sont pas que des mots, je ne mens jamais, les gars… Seulement, il semble qu’il y ait eu un petit incident ici, alors je vais rétablir ça vite fait. J’aurais peut-être besoin de quelques-uns d’entre vous, si vous savez encore obéir à un officier et vous bagarrer à un contre un et pas une foule contre un seul.

Cette fois, il y eut un grondement, en face, et plusieurs Anciens se précipitèrent pour ramasser armes et recharges.

— Ceux qui sont armés, reprit Ael, gardez les prisonniers, mais vivants, c’est un ordre, les gars ! En revanche, rien ne vous empêche de les cogner un peu, s’ils ne sont pas coopératifs…

Il y eut quelques rires.

— … Les autres, ici, trouvez-nous de quoi les attacher, qu’ils nous fichent la paix pendant qu’on s’explique tous ensemble.

Cette fois, la foule se réveilla et des gars se précipitèrent. Ael jeta un œil aux alentours et lâcha son arme.

— Bon écoutez-moi, est-ce que tout le monde m’entend ? J’ai pas mal de trucs à vous raconter.

— Oui… oui.

Les cris n’étaient pas bien puissants mais la foule répondait.

— O.K., alors j’y vais, commença-t-il. J’ai mis au point une filière pour quitter l’Union. D’autres, avant vous, en ont profité et vous attendent. Mais je ne savais pas comment vous joindre tous. Et puis, mes amis et moi on eut l’idée d’un truc. On a bricolé les ordis d’État et on a fait lancer des ordres bidons pour vous rassembler ici, avec du matos. C’est pour ça que vous avez reçu un message avec le titre de transport, signé d’un officier que vous connaissiez. Je suis le Capitaine Ancien Ael Madec, des B.A…

— De la 388ème ? hurla une voix ?

— Oui, on se connaît ? fit Ael en cherchant qui avait parlé, dans la foule.

— Soldat Paik, 249ème B.A., Capitaine. La bataille de Rostine III. Vous nous avez dégagés. Vous ne me connaissez pas, mais moi si.

— Eh bien, tant mieux, ça fait plaisir de ne pas être seul, mon vieux… Mais c’est valable pour tout le monde, y compris les gars de Procyon. À ceux-ci, je dois dire que, dans notre groupe, nous avons un Lieutenant Ancien des Divisions de combat. Pour nous, il n’y a pas de différences entre Anciens d’Altaïr ou de Procyon. On nous pourchasse de la même manière. Pour moi, un Ancien est un Ancien, quel que soit l’uniforme qu’il a porté. Si je vois une bagarre entre vous, je cogne indifféremment sur l’un et l’autre, compris ? On a tous besoin de se soutenir. Mais la fin du tunnel est là. Dans moins de deux jours, on va vous évacuer. C’est un procédé qui va vous stupéfier, parce qu’il est encore inconnu dans l’Union, mais j’ai pu négocier l’aide d’une sacrée puissance qui nous aide. Donc, faites-moi confiance et on va se tirer d’ici.

Il s’interrompit pour parcourir la foule des yeux. Il “sentait” son attention.

— Maintenant, j’ai besoin d’informations. Théoriquement, la Milice n’aurait jamais dû vous rejoindre, on devait vous installer loin à l’écart. Je voudrais donc que quelques-uns d’entre vous, parmi ceux qui sont arrivés les premiers, et qui ont l’habitude de faire des rapports complets, viennent jusqu’ici, pour m’expliquer ce qui se passe. En principe, il devrait y avoir deux amis de notre groupe, avec vous… Allez, des volontaires, le temps presse.

Cinq hommes et femmes fendirent les rangs et vinrent jusqu’au blindé.

— O.K., fit Ael, les autres, commencez à démonter les abris qu’on va emmener. Faites-en des tas, réguliers, pas le temps de vous expliquer. Pour une nuit ou deux, vous dormirez dehors, mais il faudra faire vite pour emmener tous les abris. On en a besoin, là où on va.

— C’est tranquille, au moins ? cria quelqu’un.

— C’est une autre Fédération. Vous allez tous recevoir une nouvelle nationalité, l’Union sera paralysée, finis les tabassages. Et là-bas, c’est la paix. Vous vous souvenez de ce que ce mot veut dire ?

Cette fois il y eut une ovation. Ael leva les bras.

— Allez, commencez le démontage, en regroupant les morceaux des abris, les vivres, tout ça. Que quatre gars restent ici pour garder les prisonniers, c’est tout, mais il me faut deux types habitués à ces Projecteurs Lourds pour monter la garde et surveiller les environs.

Puis, il sauta au sol, rejoint par Michelli.

— Sarmaj Strati, le présenta-t-il aux deux hommes et aux trois femmes qui le saluèrent, les uns de la tête les autres officiellement, avant de sourire à Michelli.

Ils se présentèrent. Deux Sarges, dont un homme, un Lieutenant femme et deux Chiefs, dont une femme.

— Asseyons-nous, fit Ael. Qui veut prendre la parole en premier ? Soyez précis mais concis.

— Lieutenant Fortz, de Procyon, 79ème Division de Combat, commença la grande fille costaud, pendant que Michelli s’installait de façon à surveiller les prisonniers. Je suis arrivée avec les six premiers, tous de chez nous, il y a quinze jours. Un gros Transport de Procyon, avec pas mal de matériel, qui nous a cueillis sur une planète de pionniers à quatre jours de Relatif d’ici. Le commandant avait l’air de nager un peu. On a d’abord survolé plusieurs coins avant qu’une Navette se pose ici. On est à côté de la ville principale.

— Hein ? fit Ael. Mais on devait vous déposer loin de toute agglomération, au contraire, pour la discrétion.

— Eh ben, c’est pas ce qui s’est passé. Il y avait un problème pour ceux qui arrivaient par une ligne régulière et ne savaient pas comment nous rejoindre, on nous l’a dit à bord. Ensuite, les autres Transports de votre Spatiale sont venus ici. Le matériel a été déchargé par Navette, avec les vivres et on nous a seulement dit de monter des abris, que d’autres allaient nous rejoindre. Il en arrivait pratiquement tous les deux jours jusqu’à avant-hier. C’était le dernier de cette fournée, il parait. Il faudra attendre un bout de temps avant qu’un nouveau groupe arrive.

— O.K. J’ai compris. Maintenant, quand sont arrivés mes amis ?

— Il y a cinq jours. Une femme et un type. Des Anciens, eux aussi.

— Où sont-ils ?

C’est le Sarge qui répondit :

— Le lieutenant Katel et un autre type sont venus un matin au camp. Elle a commencé à m’expliquer qu’ils étaient venus dans la nuit avec une Barge posée sur la colline et qu’ils devaient monter un appareil complexe destiné à nous évacuer. Ils ont cherché un endroit sûr. Elle a dit aussi qu’ils n’étaient pas seuls mais que les autres avaient une mission particulière et allaient repartir.

— Ils ont trouvé cet endroit tranquille ? demanda Ael.

— Je ne sais pas. Ils y ont travaillé deux journées. C’est avant-hier qu’ils sont partis.

— Partis ?

— Enfin, je suppose, ils nous avaient recommandé de ne pas aller sur la colline. Ça doit être le jour où une patrouille de la Milice est arrivée…

Ael sentit son ventre se contracter.

— Il y a eu une première patrouille ?

— Oui. Ils nous ont posé des questions. On avait la trouille et on leur a répondu que c’était l’Armée qui nous avait amenés là. Ils ont fouiné un peu partout, autour, mais sans repérer la Barge, je pense, et on les a vus partir rapidement. Et puis ce matin, les deux véhicules se sont amenés, et vous ensuite.

— Bien nous devons monter sur la colline, accompagnez-nous, tous, dit-il en se levant et en se dirigeant vers la hauteur, à travers les rangs des Anciens, qui s’écartaient.

— Que s’est-il passé, Cap ?

— Je n’en sais fichtre rien. Mais le rapprochement Milice et disparition s’impose… Ils doivent être prisonniers, encore que je ne comprenne pas comment ils ne se sont pas évadés. Peut-être Katel glane-t-elle des informations ? Je vais les appeler.

— Est-ce que vous savez où nos amis ont installé leur appareil ? demanda-t-il sans se détourner.

— Moi, je sais, fit Fortz. Sur le versant nord de la colline.

— Tu l’as vu, Lieutenant ?

— Oui, une sorte de long cylindre, braqué vers le bas. Planqué sous des branchages.

Au moins, le Transmetteur était prêt. Heureusement que les hommes de la Milice ne l’avaient pas repéré !

Les Anciens avaient de la peine à suivre leur allure et Ael ralentit le pas, songeant qu’ils n’étaient vraiment pas en forme. Il commença à envoyer un message à Katel.

Pas de réponse.

Il insista un moment sans succès. Cette fois, il fût vraiment inquiet.

— Michelli, on va aller en ville. On change de combinaisons, celles-ci sont trop élégantes pour une planète de pionniers. Les précédentes sont restées dans la Barge.

Puis, il se mit à réfléchir, n’ajoutant plus rien jusqu’à l’endroit indiqué, au bas de la colline, d’où l’on ne voyait pas la Barge, en effet. Elle était assez bien dissimulée, au sommet.

— Vous attendez ici, dit-il. Deux Anciens, des Colonels d’Altaïr, vont venir avec vous et commencer à préparer le départ.

— Des Colonels ? répéta, surpris, l’une des Sous-Officiers qui n’avaient encore rien dit.

— Oui. Les officiers supérieurs civils aussi ont été poursuivis et tabassés. Vous ne le saviez pas ?

— Non.

— Ils ont subi la même chose que nous tous. Bon, asseyez-vous, récupérez, ils vont arriver et prendre le commandement pour hâter les choses. Mais ce sera temporaire, désormais, là où nous allons, il n’y a plus de grades, nous sommes tous identiques, des soldats qui ont sauvé leur peau.

Il commença à gravir la colline, à travers les arbres, suivi de Michelli.

Au sommet, il se dirigea vers Antonio et Gregg, assis sur le sol.

— Katel, Phi et Dantzig ont disparu depuis deux jours, leur lança-t-il immédiatement, le jour où une patrouille de la Milice est arrivée… Vous avez entendu ce que j’ai dit aux Anciens ?

— Oui, fit sobrement Gregg.

— Vous allez descendre, si vous le voulez bien. Au pied de la colline attendent cinq Anciens qui m’ont l’air d’avoir encore des réflexes. Ils vont vous présenter, sous votre grade, aux autres. Le Transmetteur est installé sur le flanc nord de là colline, parait-il ; passez d’abord par là pour voir l’aire de départ qui a été choisie. Commencez à organiser le transport des vivres et des blocs démontés ou pas encore montés et faites-les porter à proximité. Ceci pour que les déplacements pour les mettre dans le champ du Transmetteur soient rapides, ou alors il faudra peut-être déplacer le Transmetteur ; ça ira peut-être plus vite, je ne sais pas. Il faudra expédier, à chaque voyage, du matériel et des hommes pour déblayer rapidement le terrain, sur Amas II.

— Et vous ? interrogea Antonio.

— J’appelle l’équipage Coulon. Les Barges doivent être planquées quelque part. Elles viendront nous rejoindre la nuit prochaine. Mais j’ai besoin d’un pilote tout de suite ; Coulon va venir ici discrètement. Ensuite, on ira en ville, Michelli et moi, à la recherche de Katel, Phi et Dantzig.

— Vous n’avez pas besoin d’aide ?

— Si c’est le cas, on vous contactera. Cherchez une vingtaine de types encore capable de combattre. Si nous avons besoin d’aide, ils viendront, avec l’armement des gars de la Milice et une Barge. Mais vous resterez ici. Désolé, Messieurs, c’est mieux ainsi. Vous ne maîtrisez pas encore suffisamment bien la téléportation, ni la télékinésie. Commencez aussi à sonder des gars, pour chercher éventuellement des collaborateurs qui vous conviennent, pour plus tard.

Les deux officiers s’éloignèrent et il dit :

— Viens, Michelli, on y va.

Ils se dirigèrent vers le poste pour envoyer un message aux autres Barges. Effectivement, elles étaient cachées dans un creux, pas très loin. Coulon répondit qu’il arrivait immédiatement, en volant près du relief, aux anti-G, pour ne pas être repéré. Il devait pouvoir se poser à flanc de colline.

— On y va armé ? demanda le Sarmaj.

— Non. On va en paix jeter un œil. Des plénipotentiaires étrangers n’ont pas de raison d’être armés. Surtout des armes d’Altaïr. Ah, il faut qu’on mange quelque chose d’énergétique pour faire le plein de notre potentiel. Et je vais contacter Grosse Tête, à tout hasard. Tu me chauffes un plat ?

Ael sortit son cristal et se concentra. Immédiatement il eut le contact avec l’aura.

— “Je me demandai si tu allais te décider à nous appeler,” dit tout de suite celle-ci, dans le crâne d’Ael, d’un ton pas content. “Katel et Phi sont prisonniers de la Milice.”

— “Pourquoi ne se sont-ils pas évadés ?”

— “Ils sont drogués, je crois.”

Le gros pépin. Ael n’avait jamais pensé à cela.

— “Katel a juste eu le temps de nous appeler, depuis sa cellule pour dire que Dantzig était mort. Elle avait sa ‘Porte’ sur elle. Elle nous a transmis qu’un garde entrait ; il avait vu sa ‘Porte.’ Je suppose qu’il l’a détruite d’après le bruit qui a suivi. Ils ont été arrêtés près du camp d’Anciens et assommés tout de suite, a-t-elle précisé ; ils n’étaient pas sur leurs gardes, ils ont repris conscience chacun dans une cellule, semble-t-il. Katel n’avait aucune nouvelle de Phi, mais elle a vu le cadavre, torturé, de Dantzig.”

Ael sentit un tremblement l’agiter. Katel… Il ne supporterait pas qu’on l’ait torturée. Il se sentait capable d’écraser cette ville tant sa haine était violente, soudain. Au point que Grosse Tête émit :

— “Arrête, arrête, Ael, tu nous fais souffrir terriblement. Ta haine est si forte… reprends-toi, contrôle-toi, je t’en supplie… Est-ce que tu ne t’étais rendu compte de rien ?”

Ael fit un terrible effort pour se calmer.

— “Rendu compte de quoi ?”

— “Mais… à quel point tu étais proche d’elle ?”

— “Qu’est-ce que tu veux dire ?”

— “Mais tu es vraiment obtus, Ael ! Eh bien, tu le découvriras bien toi-même. Ça t’apprendra à nous avoir fait souffrir autant, espèce de brute ! Je t’ai dit tout ce que je savais, laisse-nous récupérer, maintenant.”

Ael eut seulement le réflexe d’émettre doucement :

— “Pardon, Grosse Tête.”

Il brancha la Com directement sur le réseau intérieur de la Barge puis se rendit au carré.

Un plat fumant était posé sur la table et Michelli mangeait déjà. Il était vêtu de la première combinaison qu’ils s’étaient procurée, l’autre était posée à côté.

— Gregg et Antonio sont partis, fit-il. Ils ont repéré le Transmetteur et arrivent près des cinq Anciens qui attendent, plus bas.

Ael hocha la tête et commença à manger en silence, le visage mauvais.

— Michelli, murmura-t-il seulement, s’ils lui ont fait du mal, je les écrase, je les extermine !

Ils terminaient quand la Com se fit entendre. Coulon, annonçait qu’ils allaient se poser.

— Coulon, amène-toi dès que tu es au sol, lança-t-il devant deux grands quartz, j’ai besoin de toi. Laisse ton copi aux commandes.

Quand il eut terminé de manger, il se changea et rejoignit le Sarmaj qui avait lancé les séquences de décollage aux anti-G. Coulon était installé en place droite.

— Je suppose que tu préfères qu’on passe inaperçus ? fit-il, Michelli m’a raconté… Dantzig était un bon copain et le Lieutenant Katel est des nôtres, tu demandes ce que tu veux.

— On y va, fit Ael en hochant la tête.

Il s’installa à gauche et saisit les commandes, décollant brusquement la Barge, la faisant glisser au-dessus des arbres et filer au ras du sol, dans la vallée. Assez loin, elle grimpa très haut.

— Voilà la ville, lâcha Michelli, au bout de quelques minutes, à l’ouest, tout près, finalement… Elle est assez grande, pour cette planète.

— Ces andouilles de militaires !… Le Chef d’État-Major n’a pas été assez clair, ou n’a pas réfléchi, l’imbécile. Il faudra trouver un moyen de changer ça pour le prochain arrivage… Tu vois un endroit où se poser ?

— Oui, regarde, Cap, on dirait des parcs à bestiaux, au nord de la ville. Personne ne nous verra, au milieu de ça.

— Vu, mémorise, Coulon va ramener la Barge…

— Coulon, fais-moi confiance et ne t’étonne de rien, d’accord ?

— O.K., Capitaine.

— On passe derrière, et toi tu nous donnes une minute, ensuite tu reviens sur la colline sans te poser de questions sur notre absence. Tu attends des ordres, O.K. ?

— O.K., ne t’inquiète pas. Il y a un moment qu’on se doute que vous avez des petits secrets mais ça ne nous gêne pas. Tu peux compter sur nous.

Avec Michelli, il passa dans la soute. Juste avant de se téléporter, il appela d’abord Gregg.

— On est près de la ville. S’il arrive quelque chose, prenez contact avec Grosse Tête.

— Entendu. Mais pensez à la suite du plan, Ael. Pas trop de dégâts et protégez-vous, pensez à notre Fédération. Sans vous, elle ne verra jamais le jour.

Ael ne répondit pas il sortait son cristal-Porte et appelait Grosse Tête.

— “Tu as compris la leçon ?” fit celui-ci, “tu te rends compte que nous pouvons te rendre service ?”

— “Désolé, je suis hors de moi. Il y a eu trop de violences, quelquefois j’explose.”

— “Et tu t’apprêtes à en commettre d’autres !”

— “Oui. Parfois elles sont nécessaires. Il faut seulement savoir le reconnaître et s’arrêter à temps. C’était mon métier.”

— “Phi nous a contacté fugitivement. Il a caché la ‘Porte’ dans sa cellule. Ils sont drogués en permanence, maintenant. Il croit qu’on essaie de les faire parler de cette manière. Mais ses moments de lucidité sont brefs. Il était confus, malgré ses efforts.”

— “S’il te rappelle, demande-lui, s’il-te-plaît, s’il a une idée exacte de l’endroit où ils sont enfermés. On se téléporte en ville, Michelli et moi. À plus tard.”

— La Milice essaie de les faire parler en les droguant lâcha-t-il brièvement à Michelli avant de se concentrer.

… Ils se retrouvèrent assis dans la poussière, au milieu d’une multitude de pattes.